Parlez-moi d'anne frank by Nathan Englander

Auteur:Nathan Englander [Englander, Nathan]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman
ISBN: 9782259221382
Publié: 2013-03-27T20:00:00+00:00

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Allen prend son courage à deux mains et glisse le jeton. Comme le cache remonte il voit une jambe de femme, une jambe cylindrique ; c’est une femme âgée et la joie l’inonde – simple comme bonjour. C’est fini. Quand Allen reconnaît sa mère, il comprend qu’il s’est trompé. Claire est assise à côté d’elle, en culotte dont on ne voit que les côtés tant son ventre est gigantesque. Bon nombre de caches sont ouverts et Allen peut voir les hommes secouant les bras, les yeux écarquillés, comme hypnotisés. L’un d’eux est coiffé d’une kippa. C’est Benji Wernik, le petit-fils du rabbin de Galicie.

La mère d’Allen porte des bas et un porte-jarretelles. À l’endroit où ces femmes placent d’ordinaire leurs pourboires, elle a une pile de Kleenex.

— Tu veux un mouchoir, Ari ? Tu as pensé à en prendre ?

Elle se lève pour lui en donner.

— Assieds-toi, dit-il. Je t’en prie, maman, assieds-toi !

— Pour que tu salisses un beau mouchoir ? Sans parler d’un costume aussi luxueux.

— Maman, s’il te plaît, de quoi parles-tu ?

— Je dis que j’ai lavé tes caleçons tous les jours et que, ce genre de choses, je connais.

Et voilà que la mère d’Allen, qui ne supporte pas l’idée qu’il ait épousé une non-juive, qui le jour du mariage a décidé qu’elle était invisible, se penche vers Claire et lui touche la main.

— Il veut savoir de quoi je parle. Des caleçons plus raides qu’avec de l’amidon, j’ai lavé. Des caleçons qui se seraient cassés en tombant par terre. Ma parole, si les Russes avaient lâché la bombe atomique quand j’étais dans ce sous-sol, j’aurais été parfaitement en sécurité entourée de ses gatkes sales.

— Tu savais ?

— Bien sûr. Je suis une mère. Quoi, tu te crois le premier au monde à faire ça ?

— C’est normal. Le docteur l’a dit. Le rabbin n’a même pas discuté – et il sait pourtant que c’est un grand péché.

Fein est en plein rétropédalage, il cherche à se justifier.

— Qui a dit que ce n’était pas normal ? dit sa mère, s’adressant à sa femme.

Claire hausse les épaules et écarte les cuisses, offrant à Benji Wernik une vue imprenable.

— Tout ce que je dis, reprend sa mère en reposant les mouchoirs, c’est qu’il faut réfléchir un peu. Pourquoi abîmer un beau costume. Pourquoi abîmer un beau mariage…

Elle s’interrompt.

Claire se tourne, attend. Allen attend tout en priant pour que la cloison retombe. Ils attendent que sa mère achève sa phrase : « Pourquoi abîmer un beau mariage… même si c’est avec elle ? » Mais elle n’achève pas. Claire sourit, lève la main et la pose sur celle de sa belle-mère. Elle la serre et dit :

— C’est bien vrai.

Allen reste bouche bée. C’est une concession de la part de sa femme, un acte de trahison de la part de sa mère. Jamais auparavant elle n’a reconnu l’existence d’une chose qui ne soit pas conforme à ses désirs.

— C’est ce que veut dire le rabbin ? leur demande-t-il. Est-ce ainsi que les gens apprennent à s’en sortir ?

Mais elles n’ont pas le temps de lui répondre.

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